lundi 2 avril 2007

Présidentielle. Projets au quotidien : l'emploi des seniors

«Passé 50 ans, les gens sont marginalisés»

Malgré des mesures incitatives, le travail des plus âgés ne décolle pas. Danièle Karniewicz, syndicaliste, explique pourquoi.

Par François WENZ-DUMAS
LIBERATION : lundi 2 avril 2007


Danièle Karniewicz préside la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), où elle siège au titre de la Confédération générale de l'encadrement et des cadres (CFE-CGC).

François Fillon, avec la réforme des retraites de 2003, a voulu faire de l'emploi des seniors une priorité. L'effet des mesures incitatives commence-t-il à se faire sentir?
Non. En tout cas, il est pour l'instant très limité. Il est vrai que ces mesures commencent tout juste à être connues. C'est le cas de la retraite progressive. Peu de gens savent que les salariés qui ont, par exemple, 150 trimestres de cotisation peuvent à 60 ans demander une liquidation d'une partie de leur retraite tout en continuant à travailler à temps partiel, ce qui leur permet de continuer à cotiser jusqu'à ce qu'ils aient les 160 trimestres leur permettant de bénéficier d'une pension à taux plein.
Cette possibilité n'est ouverte que depuis le 1er juillet 2006. Elle reste encore peu connue. Autre mesure incitative: la surcote, qui permet aux salariés qui ont atteint les 160 trimestres d'améliorer de 3% ou 4% par an le montant de leur retraite s'ils continuent à travailler après 60 ans. Il y a enfin le cumul emploi-retraites aujourd'hui largement ouvert, même s'il touche surtout les polypensionnés, ceux qui ont cotisé à différentes caisses et qui compensent souvent la faiblesse de leur retraite en continuant à travailler. Ces nouveaux dispositifs restent encore peu connus, ce qui explique par exemple qu'en trois ans, il y ait eut seulement 64 119 personnes qui aient demandé à bénéficier de la surcote pour prolongation de carrière.
Pourquoi les mentalités changent-elles aussi lentement?
Passé 50 ans, les gens sont marginalisés dans les entreprises. Les employeurs ne font rien pour les garder, et il faut bien reconnaître que les syndicalistes que nous sommes continuent à préférer négocier le départ anticipé des salariés les plus âgés plutôt que des licenciements. Le plus grave est que les salariés eux-mêmes n'ont qu'une envie: quitter l'entreprise. Nous avons mené une étude à la Cnav auprès de gens proches de la retraite, pour tester des mesures qui les inciteraient à rester: bonifications, aménagement d'horaires, même une augmentation de 25% de leur salaire. Résultat: cela ne change rien. Les gens partent en retraite dès qu'ils peuvent quitter l'entreprise.
Comment s'explique ce choix de partir le plus vite possible à la retraite?
On a créé un climat d'inquiétude autour de la retraite. Les gens craignent qu'en 2008, ou en 2012, les conditions de départ soient encore aggravées. Les banques et les assureurs privés jouent sur le registre de la peur pour les forcer à acheter des produits d'épargne. Quant aux politiques, ils rivalisent d'irresponsabilité. Entre ceux qui défendent la retraite par capitalisation et ceux qui veulent revenir à 37 ans et demi de cotisation, c'est à celui qui poussera le plus les gens à partir en retraite au plus vite. Résultat: ceux qui décident de prolonger leur activité professionnelle ne le font pas par choix mais par nécessité. Les femmes par exemple, parce qu'elles ont des carrières souvent incomplètes. Une femme sur deux n'a que le minimum contributif au moment de la liquidation de sa pension. Sans oublier les couples séparés au moment du départ en retraite, ou des gens remariés qui ont encore des enfants d'âge scolaire, ce qui les pousse à prolonger leur activité. On aura vraiment réussi à encourager le travail des seniors quand ils se sentiront à leur place dans l'entreprise et qu'ils prolongeront leur carrière par choix, et non par nécessité.

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