lundi 2 avril 2007

Des stages de citoyenneté pour rappeler les "valeurs républicaines de tolérance"



LE MONDE 31.03.07 14h01 • Mis à jour le 31.03.07 14h01
Cela débute par un jeu. Dix hommes et une femme condamnés par la justice effectuent un stage de citoyenneté à Bobigny (Seine-Saint-Denis). De la baie vitrée d'une salle prêtée par le conseil général du département, ils voient la surface tentaculaire du tribunal de Bobigny, qui vient de leur trouver un nouveau "collègue" : l'animateur de télévision Jean-Luc Delarue condamné, lui aussi, à un stage de citoyenneté.
Créée en 2004, cette sanction pénale qui ne peut excéder un mois doit rappeler au condamné les "valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société". La session de trois jours organisée à Bobigny est prise en charge par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP). Les "stagiaires" ont de 19 à 56 ans. Certains ont connu la prison, d'autres collectionnent les gardes à vue, d'autres encore n'avaient guère eu affaire à la justice, jusqu'à présent.
Ils se mêlent à une juge d'application des peines, aux organisateurs du stage, et aux membres du SPIP qui les prennent en charge. Le jeu s'appelle la bombe. Chaque stagiaire choisit deux participants : le premier est la bombe, le deuxième la cible. Leur mission consiste à s'interposer entre les deux. Bernard, 26 ans (les prénoms ont été changés) a décidé de protéger Sania, la juge est choisie comme bombe. Il réussit sa mission. "Dans la vie, ce ne serait pas possible."
Autre jeu : un espace symbolique composé d'une table et de six chaises. L'une est posée sur la table, deux sont installées devant, deux derrière et la dernière au fond de la salle, dans un coin. Les participants doivent rejoindre la place qu'ils pensent occuper, celles qu'ils veulent atteindre, l'endroit où ils ne veulent surtout pas être. Personne ne se hisse sur la chaise placée sur la table. "Là, c'est les gens qui sont riches, les juges et tout et tout", explique Boubacar, 19 ans. Mais la place qu'ils ne veulent surtout pas, c'est celle du fond : l'exclusion.
L'objectif de ces stages de citoyenneté est de les faire rentrer dans le cercle, de se confronter aux institutions, de réfléchir aux actes qu'ils ont commis. Avec l'association Théâtre en mouvement, ils rejouent la scène qui les a conduits ici, en se mettant à la place de la personne qu'ils ont agressée. Mais il leur est difficile de remettre en question la violence. "Dans les quartiers, les situations sont tellement chaudes, vaut mieux frapper le premier", affirme Robert, 36 ans. "Faut toujours frapper le premier", insiste Boubacar.
Eduardo Valenzuela, le sociologue qui anime ces stages dans le cadre de son association Dialogues citoyens, intervient pour remettre les pendules à l'heure. "Il s'agit de faits graves. Les condamnations restent dans le casier judiciaire. C'est le cas des stages de citoyenneté. Quand les juges voient qu'ils en ont suivi un, la deuxième fois, ils sont moins cléments."
Le lieutenant P. ne cache pas qu'il est policier : cheveux en brosse, uniforme, revolver à la hanche. Il a trente ans d'expérience, le dialogue est tendu. "Pourquoi y a-t-il de plus en plus de violences policières et d'interpellations musclées ?", attaque l'un des stagiaires, Robert. "Le comportement des gens a changé, répond le policier. Je veux vous interpeller mais vous ne voulez pas vous laisser faire. On se bat. J'essaie de vous sécher, mais je ne dois pas vous blesser. C'est pour ça que quatre ou cinq policiers interviennent. Mais le passant qui voit ça, il dit que des policiers tabassent des jeunes et prennent fait et cause pour celui qui a transigé avec la loi. Si vous estimez qu'une intervention s'est mal passée, vous pouvez porter plainte." "On ne sait pas qu'on peut porter plainte", rétorque Ahmed, 26 ans. "Il y a de plus en plus de plaintes à l'inspection générale des services. Et quand le policier est interrogé, il est du mauvais côté de la machine à écrire", répond le policier.
Les stagiaires critiquent les "Rambos avec leur flashballs," que les policiers utilisent comme des "jouets". Le lieutenant explique que ces armes sont nécessaires quand il faut intervenir face à des bandes. "Il y a quinze ans, intervient Robert, il y avait plus de dialogue avec les policiers. C'est vrai que la délinquance a augmenté. Mais pourquoi, dans le 93, on a les jeunes profs et les jeunes policiers sans expérience ?"
Les onze stagiaires sont restés trois jours enfermés à parler, à écouter, à s'écouter, ce qui ne fait pas nécessairement partie de leurs habitudes. Certains n'ont pas beaucoup parlé, mais tous étaient attentifs, conscients de ce qu'ils avaient fait. D'autres ont crié jusqu'au bout leur révolte devant une "justice à deux vitesses", même s'ils découvrent, étonnés, que les juges et les policiers sont des gens comme tout le monde. "Ma copine m'a dit que je n'arrêtais pas de parler du stage, le soir, remarque Bernard. Ça m'a fait beaucoup réfléchir."

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 01.04.07

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